Des rêves en quête de lieux d’apaisement.
L’écrivain et penseur sénégalais, Felwine Sarr publie son dernier roman en date, «Les lieux qu’habitent mes rêves» chez Gallimard dans la collection l’arpenteur.
Ce roman d’apprentissage met en scène deux frères jumeaux, Bouhel et Fodé, qui décident de répondre à l’appel du destin en empruntant deux chemins initiatiques totalement différents.
Fodé choisit la sédentarité auprès des siens, pour reprendre le flambeau du sage Kumax, le maître de l’initiation et veiller ainsi à la transmission des traditions spirituelles dans le pays Séeréer. Car «l’outre doit être transvasée, les secrets des Kumax ne doivent pas disparaître.» Menuisier de son état, il épouse Marème, une consultante pour une ONG internationale. Union improbable mais pourtant harmonieuse et bien solide.
Quant à son frère, Bouhel, il suit le chemin de l’exode en Europe et des études en sémiologie et littérature comparée. Il rencontre et tombe amoureux d’Ulga, une étudiante d’origine polonaise et s’embarque à Varsovie où sa vie prend une tournure inattendue. Il est aussi en quête du sens de l’aventure humaine ce qui le conduit à s’intéresser, entre autres, à la mystique chrétienne.
Nous avons aussi le regard, depuis le pays sans limites des Ancêtres, du vieux Ngof qui veille sur les jumeaux.
Le roman est organisé autour de plusieurs narrations mais la voix de Bouhel est tout de même prépondérante, son récit se décline à la première personne du singulier contrairement à ceux des autres personnages dont la narration est introduite à la troisième personne du singulier.
Les chapitres sont extrêmement courts mais très précis. Ils tiennent sur deux à quatre pages. L’auteur se l’explique par « un désir d’ascèse dans l’écriture. Aller juste à l’essentiel. Donner au mot toute sa place et toute son ampleur.« D’après lui «trop de mots tue les mots» ; «une réflexion sur l’économie du langage» nous dira l’économiste. Il faut dire que ce choix a le mérite de faciliter la lecture et la compréhension. Cette concision dans l’expression est rigoureusement travaillée car il ne s’agit pas seulement «de signes qui disent un sens». La puissance de l’évocation, la sonorité suggérée sont tout aussi importantes. Ce qui donne au texte son caractère très poétique. On est proche de l’univers de ces punchlines (phrases chocs) que les artistes hip hop affectionnent tant. Cette recherche du mot juste et l’évocation de la beauté empreingnent le roman d’une douce musicalité encore que la bande-son disséminée tout au long du récit tapissent les voix de Césària Evora et de Wasis Diop entre les lignes. On les entend presque chanter en filigrane !
«Les lieux qu’habitent mes rêves» est aussi une invitation à la méditation sur le sens de la vie. Cette quête du sens est particulièrement présente dans les chapitres dont Bouhel est le narrateur. Lui qui a choisit d’être «le disciple de sa propre compréhension des choses». Lui, né dans le pays Séeréer avec sa complexe et dense spiritualité ; musulman mais pourtant ouvert aux autres traditions spirituelles du monde. «À partir de plusieurs fenêtres, on peut voir le tout». Bouhel étudie les textes de Maître Eckart, Sainte Thérèse d’Àvila. Il part souvent dans le monastère du Marmyal pour «prendre du recul sur la course et le tourbillon» et «replacer l’existence dans le bon sens». Ce cloître est un lieu de silence et de retraite pour notre héros. Ses échanges avec le Frère Tim sont de belles plongées méditatives qui livrent une sagesse universelle non enfermée dans une forme culturelle ou religieuse donnée.
Ainsi, le sens se dévoile sur plusieurs lieux, voilà pourquoi ceux qu’habitent les rêves des personnages se trouvent par le voyage. Un voyage dans l’espace, le temps mais aussi un voyage à l’intérieur de soi pour y trouver la chaleur de l’apaisement.